"La littérature est un fleuve. A sa source, se trouvent les livres qu'a aimés un enfant." Geneviève Brisac

dimanche 23 décembre 2012

Coups de coeur 2012 pour paroles de conteurs




Pour finir l'année en beauté, voici une sélection  d'albums coups de coeur parus en 2012 sur le thème des contes.
Beaucoup se sont penchés sur la place du conte dans la construction d'un enfant.
 
 Voici donc quelques albums, qui permettront aux plus grands d'entre eux, de s'absenter de notre réalité quelques instants pour peut être mieux y revenir, mieux la comprendre, mieux l'appréhender ...

 
Commençons par une croustillante variation du thème d'Alice au Pays des Merveilles : Madame Le Lapin Blanc de Gilles Bachelet. Gilles Bachelet, génial comme à son habitude !



Et si le lapin blanc de Lewis Caroll avait une femme et une tripotée d'enfants ...Et si sa femme tenait un journal intime ... ça ne rigolerait pas tous les jours, mais nous si !



Madame le lapin blanc brosse le portrait de chacun des membres de sa maisonnée :
celui de sa fille ainée en pleine crise d'adolescence qui vire anorexique pour ressembler à un mannequin,
de ses jumeaux qu'un rien n'amusent (ils vont jusqu'à jouer aux billes avec leurs petites crottes),



de Betty et de sa difficile intégration dans sa nouvelle école,



d'Eliot, le cinquième, en avance pour son âge (surtout lorsqu'il s'agit de regarder sous les jupes des filles)
et enfin de l'adorable petite dernière, qui est le portrait craché de son père et braille toute la sainte journée !


Madame La Lapin Blanc nous ouvre donc les portes de son quotidien infernal et surchargé où elle doit tout gérer seule ...car ce n'est pas son mari qui va l'aider : toujours en retard pour le palais de la reine de coeur, souvent absent, irrémédiablement étourdi  !



Cher journal, non ce n'est pas une vie de rêve mais une vie de famille qui ne manque pas de tendresse !

Les illustrations de Gilles Bachelet, proches parfois de la BD et d'une grande expressivité, fourmillent de détails, permettant plusieurs niveaux de lecture en fonction de l'âge et une relecture toujours aussi surprenante.

Les références à Alice sont subtiles et on ne verra de l'héroïne qu'un énorme pied. En revanche, les clins d'oeils au roman de Lewis Caroll sont nombreux. Chaque double page nous plonge dans des illustrations grouillantes de détails loufoques, on y passerait des heures.



On se régale devant les 100 recettes de carottes destinées à faire retrouver l'appétit à la fille ainée, ou encore devant cette incroyable salle de classe avec Humpty Dumpty, le dodo, le morse, le chapelier, les cartes,...tous y sont.



Bref,ça ne se raconte pas, ça se déguste et en famille s'il vous plaît !
A noter que cet album au ton décalé et à l'humour délicieusement corrosif , pur régal visuel, a remporté la Pépite de l'Album au salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil.
Un grand coup de coeur pour cet album simplement génial !

 
 
 
 
 
 
 
Après La Colère de Banshee, le bonheur prisonnier ... Jean François Chabas et David Sala revisitent avec Féroce, l'un des contes les plus populaires de France : Le petit chaperon rouge et l'un des personnages les plus charismatiques de la mythologie scandinave: le puissant loup Fenris.
 
 
"Pour peu qu'on soit d'un fragile caractère, on grandit en imaginant ce que les autres nous renvoient. Les sentences nous sculptent."
 
Dés sa naissance, Fenris n'est pas un louveteau comme les autres : les yeux et le pelage rouges, de grandes dents, un air méchant à son insu ... sa mère et ses frères commencent à le craindre. Les siens le mettent à l'écart. Alors à force de s'entendre dire qu'il est féroce et cruel, il finit par le devenir.


 
Il se met à errer seul, terrorisant tous les êtres qu'ils croisent, jusqu'aux branches qui frémissent et aux fleurs qui ploient...
 


 
Un jour il rencontre une fillette tout de rouge vêtue,  aux cheveux couleur miel et à l'esprit plein de dérision. On ne nous dira rien de cette fillette esseulée, se promenant insouciante dans la forêt, alors que le loup guette ...
 



 
C'est pourtant elle qui va faire reculer Fenris. Devant elle, Fenris trébuche. Malgré lui, il est enlacé; malgré lui, il est aimé.
Et sans jamais se départir de son étrange humour désabusé, la belle va déconstruire un discours de masse en toute simplicité. Tous deux "s'accordent" pour suivre leur propre voie, chacun s'éloignant de sa meute.
 
 
 
"Ils marchent de concert, du pas de ceux qui ont très longtemps cheminé ensemble; parfois la jeune fille s'appuie contre l'encolure du loup, parfois c'est le loup qui vient se presser contre les jambes fines de l'humaine."
 
 
Album atypique par son format notamment; tout est fait pour provoquer l'émerveillement du lecteur. La plume si particulière de JF Chabas retranscrit une certaine tension; et il nous faut attendre de déplier les pages(en haut ou sur le côté) pour voir apparaitre, les superbes peintures de David Sala.
 
 
 
Des illustrations tout en ronds, points, arabesques, rectangles assemblés avec minutie, jouent sur toute une galerie de nuances : rouge chaud, bleu polaire... Le pelage de Fenris est à son image une merveille de tourmente.
Klimt n'est pas bien loin !
 


 
 
 Un album fantastique, dans le fond comme dans la forme. A ne pas manquer !
 
 
 




 
 
 
 
 
Dans Le Lac de Cygnes, Charlotte Gastaut a réussi le pari de revisiter l'univers magique du ballet de Tchaïkowsky.
 
 
 
Un prince rêve d'Amour. Mais ses parents, impatients de le marier, décident d'organiser un bal. Ils annoncent alors à leur fils qu'il lui faudra choisir, durant la fête, celle qui deviendra sa femme.
Le jeune homme s'enfuit dans les bois. Il y apperçoit un vol de cygnes et le suit jusqu'aux abords d'un lac. Là, apparaît une merveilleuse jeune fille vêtue d'une robe de plumes blanches ...
 
 
 
D'emblée, la couverture est somptueuse. L'intérieur l'est tout autant. Tout en or, bleu nuit et blanc, les dessins finement découpés forment une véritable dentelle.
Rapidement, le texte s'efface et les illustrations semblent s'illuminer à mesure que l'on tourne les pages.
 
 
 
 
 
 
La talentueuse Charlotte Gastaut n'en finit plus de nous surprendre. Et on saluera les éditions lyonnaises Amaterra pour cette magnifique initiative.
 
Un album féérique, idéal pour les fêtes de fin d'année !






Poursuivons avec un des plus extraordinaires recueils d'histoires "étonnantes et surprenantes" -ainsi qu'on les qualifiait autrefois : les  Mille et une nuits.
Cette année c'est Gudule qui a adapté neuf des ces contes, à l'épicé parfum de l'Orient,  superbement illustrés par François Roca.



L'album commence par l'histoire de Shéhérazade.
Découvrant l'infidélité de son épouse, le sultan Schahriar la met à mort. Et pour ne plus être bafoué, il décide d'épouser chaque jour une nouvelle vierge et de la tuer le matin suivant. Pour faire cesser ce massacre, Shéhérazade, fille du grand vizir, s'offre au sultan. Inlassable conteuse, elle narre chaque nuit le début d'une histoire que l'aube fatidique interrompt. Pour connaitre la suite, le sultan repousse son exécution de jour en jour. Et à l'issue de mille et une nuits (et de 3 beaux enfants), Schahriar séduit, garde à jamais sa merveilleuse conteuse ...

 
Suivent ensuite 8 contes emblématiques des mille et unes nuits : Le prince changé en singe; l'encombrant cadavre; l'astucieux petit chamelier; histoire d'une tarte au miel et à l'eau de rose; le mari, la femme et le perroquet; l'homme qui mit sa femme dans un bocal; le calife et l'âne et le coffre volant.

Chaque début de chapitre est orné d'une arche orientale où l'on voit Shéhérazade en train de raconter l'histoire au sultan, ainsi que deux illustrations en rapport avec le contenu du conte présenté.



Une ambiance féérique, un ton incisif, on plonge avec délice dans ces récits exotiques et dépayasants. Les histoires sont tour à tour drôles ou émouvantes, plus ou moins longues. Quant au style, il est à la fois recherché et fluide, adapté aux jeunes lecteurs (toutefois rien ne leur est épargné de la barbarie des sultans à la malice des femmes adultères).

 



Quant aux illustrations de François Roca, ce sont de véritables invitations au voyage. Avec ses associations "plume-pinceaux", il nous entraine dans un univers fabuleux aux ambiances tantôt chaudes, tantôt poudrées; pleine page ou minutieux détails venant renforcer le texte, jeux de lumière et clair obscur ...






 Petite disgression dans cette présentation des albums 2012, à l'intention de celles et ceux qui se seront laissés tenter par les Contes des milles et une nuits et qui souhaiteraient en lire plus.
Je vous recommande le très bel album illustré par Delphine Jacquot, aux éditions Gründ.



Mêlant découpages, collages et grande variété de texture, les dessins de Delphine Jacquot sont de véritables cabinets de curiosité. Ils se détachent comme des fresques en vis-à-vis des textes qu'ils illustrent.



A la fois délicates et étranges, les illustrations nous évoquent les miniatures persannes, nous transportant hors du temps, dans des univers surprenants et oniriques.



Nous découvrons ainsi 4 autres récits des mille et une nuits : le marchand et le génie; Histoire du premier vieillard et de la biche; histoire du second vieillard et des deux chiens noirs; Histoire du pêcheur
auxquels s'ajoutent les deux célèbres histoires d'Alibaba et des quarante voleurs; ainsi que l'histoire d'Aladdin ou la lampe merveilleuse.



Seul petit regret, aucune allusion n'est faite à la première histoire qans laquelle toutes les autres s'enchassent, celle de Shéhérazade.

Cet album est un coup de coeur de la médiathèque de l'Institut du Monde Arabe, qui rappelons-le consacre aux mille et une nuits une magnifique exposition à découvrir jusqu'au 28 avril 2013.





 




Dans une toute autre ambiance, issu du romantisme allemand, le conte d'Ondine est un des plus fascinants qui soient. Aloysius Bertrand par sa prose, Ravel et Debussy par leur musique, s'en sont emparés, exprimant toute la cruauté de cet attachement impossible.

Amour, nature, mort, féérie fantastique : l'intrigue était idéale pour Benjamin Lacombe !



S'inspirant du texte de Friedrich de la Motte Fouqué et de la pièce de Giraudoux, Benjamin Lacombe nous plonge dans cette histoire tragique et romantique (au sens premier du terme) où se mêlent poésie et références picturales !

Ondine, esprit des eaux, croise la route d'un preux chevalier Hans de Ringstetten. Touché par la beauté de la jeune nymphe, il la demande en mariage et la ramène dans son royaume.
Par ce mariage, la belle espère gagner l'âme dont elle est dépourvue.



Mais insidieusement, Ondine va renier sa condition aquatique. Or c'est en se servant de cette essence féérique, que la jeune duchesse Ursule, jalouse, impuissante face au bonheur du couple, ne souhaitant que reconquérir le coeur d'Hans, va parvenir à immiscer doute et suspicion dans l'âme du chevalier jusqu'à atteindre de funestes conséquences.

Car les lois des ondins sont très claires : Si l'époux d'un esprit des eaux lui est infidèle, c'est par la mort que celle-ci doit laver la trahison.



S'inspirant des préraphaélites* pour qui le mythe d'Ondine et des nymphes était un thème de prédilection, Benjamin Lacombe nous offre de superbes peintures, tantôt apaisantes, tantôt angoissantes : la flore (trop) luxuriante, les ombres nuancées, la moue mutine et les longs cheveux flamboyants d'Ondine ...

 Hylas et les Nymphes, John Williams Waterhouse, 1896

Ophelia, John Everett Millais, 1852

 


 
Par un savant jeu de calques imprimés, Benjamin Lacombe fait émerger toute la sensualité et la transparence de cet univers aquatique.
Et puis, il y a La Vague omniprésente, qui menace, qui gronde, référence à l'estampe d'Hokusaï. Véritable trait d'union entre le début et la fin, elle déferle sur les dernières pages, entrainant tout sur son passage...



Un magnifique album, une épopée romantique dont les thématiques résonnent de manière étonnament moderne.
Et pour ceux qui seraient tenté par une lecture en musique :
 
 
 
  
 
 




Impossible d'évoquer le monde des contes sans citer Pierre Gripari (1925-1990), un des écrivains les plus appréciés des enfants.
Or cette année, les éditions Grasset-Jeunesse lui ont rendu un bel hommage, en regroupant les contes de la rue Broca et les autres contes de la rue Broca dans un recueil de 200 pages, à la fois traditionnel et contemporain. 



La sorcière du placard aux balais, la fée du Robinet, Scoubidou la poupée qui sait tout ou bien encore l'histoire de Lustucru n'ont pas pris une ride depuis leur première parution il y a 30 ans ...La magie opère toujours !!!


Il s'agit de 13 contes à destination des petits mais aussi des grands, ayant pour cadre l'épicerie de papa Saïd située rue Broca à Paris. L'un des clients réguliers, Monsieur Pierre, est une personne âgée prompte à raconter toutes sortes d'histoires aux enfants de passage.




Inspiré par la vie quotidienne d'un quartier d'immigrés, Pierre Gripari met en scène les gens qu'il côtoie dans des histoires philosophiques et malicieuses, offrant à l'époque un nouveau souffle au genre.  

 Les illustrations pleine page sont tirées des dessins caricaturaux, originaux  de Claude Lapointe; qui en 1995 avait réalisé une adaptation animée des contes.



Ces contes sont devenus aujourd'hui des classiques incontournables pour notre plus grande joie !








Voilà, l'année 2012 s'achève avec une fin du monde pour le moins ratée. Et c'est tant mieux, il y a encore tellement d'albums et de talents à découvrir !
Je vous souhaite donc d'excellentes fêtes de fin d'année  et vous donne rendez-vous à l'année prochaine !











*Préraphaélisme anglais : en quête d'absolu
La beauté fervente

1848 : le « printemps des peuples ». L’Europe absolutiste, née du traité de Vienne (1815), implose de toutes parts.
En Autriche, en Allemagne, en Italie, les peuples, acquis aux idées de la Révolution française et aux mouvements libéraux, se soulèvent et réclament des libertés.
u même moment, dans les arts, les conventions académiques sont profondément remises en cause.
(...)
À Londres, de jeunes artistes, insatisfaits de l’enseignement académique, aspirent à plus d’authenticité dans la peinture : ils déplorent la virtuosité et le manque de simplicité de l’art de Raphaël (1483-1520) et surtout de ses suiveurs – inspirateurs des principes académiques –, défauts qui, selon eux, nuisent à l’expression vraie d’un sentiment religieux sincère.
Enthousiasmés en revanche par l’art des primitifs italiens et flamands, dont ils apprécient la simplicité, le réalisme naïf et la ferveur, ces jeunes gens, au nombre de sept, se regroupent en septembre 1848 sous le nom de Pre-Raphaelite Brotherhood (« confrérie préraphaélite »), en hommage à la période antérieure à Raphaël.
Trois sont peintres : Dante Gabriel Rossetti (le chef de file), William Holman Hunt et John Everett Millais. Abandon des stéréotypes, réalisme, manie du détail, couleurs vives, sujets sérieux et volontiers religieux, mais aussi littéraires, ce qui rattache pour partie ces jeunes peintres au romantisme tardif, tels sont les traits d’une approche consciencieuse et pétrie de convictions dans un projet visant à renouer les fils entre l’art et la foi.
(...)
Philippe SAUNIER
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