"La littérature est un fleuve. A sa source, se trouvent les livres qu'a aimés un enfant." Geneviève Brisac

mardi 15 mai 2012

Les Mamans dans tous leurs états

"Nous la tenons, la véritable héroïne de l'album jeunesse ! Ce n'est pas un prénom ou un nom, c'est une fonction sacrée, sacralisée depuis que nous nous référons exclusivement à la Création selon la tradition judéo-chrétienne : C'est la mère." (1)
Les mamans sont une source d’inspiration intarissable des albums jeunesse. Ca tombe bien dans quelques semaines, c'est la fête des mères. Voici donc quelques beaux albums mettant à l’honneur toutes les mamans.
Notons que beaucoup d'albums s'en tiennent à la figure de la mère parfaite, que de mamans aux cent bras, forcément sublimes, aimables, serviables, disponibles du matin au soir (la nuit aussi biensûr) pour leur progéniture ... Certes, elles ont évolué et ne sont plus cantonnées à l'espace domestique de la cuisine. Elles travaillent, quittent le foyer...
Certains albums commencent même à véhiculer l'image d'une mére dite "moderne" (2), qui ne se réduit pas, par choix ou par nécessité, à la maternité. Enfin, d'autres albums n'hésitent plus à brosser le portrait de mères faillibles, en souffrance, car les mamans aussi souffrent parfois et cela peut se voir...





Pour les mamans Parfaites :



Pour tous les enfants du monde et leur maman, voici J’aime ma maman de Karine Quessada et Marie-Pierre Emorine ; un livre qui rend hommage à l’Amour universel qui unit un enfant à sa maman.
Chaque double page nous dévoile la relation tendre et privilégiée d’un petit bout avec sa maman. Mamans chinoise, japonaise, russe,…partout sur la planète, les mamans caressent, font des câlins, chantent des comptines, racontent des histoires …Elles sont toujours pleines d’attention à l’égard de leurs bambins.



Voici un très bel album à la couverture moelleuse, aux pages glacées parfaitement adaptées aux mains des plus petits !
Le texte tout en rimes et en poésie, utilise des mots simples et doux pour toucher les cœurs en décrivant les rapports affectifs des enfants et de leur mère.
"J'aime ma maman
Quand elle me papouille, me chatouille,
Je gazouille, je deviens fripouille !"
Les illustrations de Marie Pierre Emorine sont superbes. Tout en rondeur, aux couleurs chaleureuses, aux dégradés profonds, regorgeant de petits motifs délicats, elles retranscrivent parfaitement l’univers intimiste et enveloppant d’une maman et de son enfant. (Un grand merci, Anne-Lo, pour m'avoir fait découvrir ce livre)







Une fée, c’est merveilleux. Dix fées, c’est encore mieux. Pourtant, il existe bien plus prodigieux, Mieux que dix fées de Lénia Major et Cathy Delanssay.


Le jeune lecteur pénètre dans un univers féerique où lui sont présentées dix petites fées. Chacune d’elle possède un don particulier, pour enchanter le quotidien des petits (comme des grands) : l’une fait des bisous, une autre des chatouilles, une troisième danse,…Imaginez maintenant, mieux que dix fées…Imaginez une fée qui réunirait tous ces talents. Eh oui, c’est maman !


Le texte est espiègle, le ton malicieux, composé avec de jolies rimes. Il s’envole littéralement à certains moments clés.
Quant aux illustrations, c’est un véritable tourbillon de couleurs chatoyantes et lumineuses virevoltant à la manière des fées.
Un petit album plein de douceur et de légèreté, véritable ode aux mamans !






Pour les mamans douces et calines, un album CD à lire, à écouter et à chanter (de la collection Tralalère) : Une chanson douce chantée par Henri Salvador et illustrée par Eric Puybaret.





Cette chanson exerce depuis toujours sur les enfants qui l'écoutent une tendre fascination. Est-ce la douceur de la voix du crooner ou la magie de ses paroles ? Est-ce la tendresse de cette maman pour son enfant ? (Son véritable titre était d'ailleurs Le loup, la biche et le chevalier, mais c'est le refrain qui est entré dans la mémoire collective.)

Viennent s'ajouter ici la féerie des superbes illustrations d'Eric Puybaret. Six doubles pages vivantes et douces dans un séduisant album cartonné à couverture mousse et aux bords arrondis qui permet aux plus petits une manipulation aisée.







Les mamans dites "modernes" hyperactives, gagnant leur vie tout en élevant leurs enfants n'échappent pas non plus au stéréotype de la maman parfaite. Une Vraie Maman de René Guichoux et Thomas Baas brosse le portrait d'une mère "ordinaire" d'aujourd'hui.




"Avec humour et amour, René Guichoux énumère toutes les caractéristiques d’une maman : l’aspect physique, la faculté à faire 100 000 choses à la fois, la bonne humeur ou la mauvaise, la capacité à se lever la nuit, le don pour raconter les histoires, pour crier très, très fort... Il recense tous ces petits riens qui font que les vraies mamans sont souvent des êtres irremplaçables pour leur(s) enfant(s), sans occulter que certaines n’ont pas eu de chance dans la vie ou que d’autres peuvent parfois être amoureuses d’un autre que Papa.

Aux crayons et aux pinceaux, Thomas Baas s’acquitte de sa partie avec simplicité et drôlerie, faisant de ce petit album sans prétention un moment à partager, en rigolant, avec sa maman."



Réné Guichoux n'hésite pas à affirmer que "la Vraie Maman a une chance extra-ordinaire : elle a dix-huit paires de bras et de jambes. Oui, c'est la vérité. Du coup, c'est très facile pour elle de conduire dans les embouteillages, de préparer un gâteau pour ce soir, de répondre à la gentille lettre de Tante Irma, d'aller te chercher à l'école, de regonfler les pneus de ton vélo..."
Bref, une Vraie Maman transcende tous ses malheurs et toutes ses difficultés pour ne se soucier que de son enfant !









Dans les folles journées de maman d'Elise Raucy et Estelle Meens, "la maman d'Ernest et Marguerite, elle court, elle file, elle sprinte !"

Chaque double-page comporte une phrase courte, écrite en gras, vraissemblablement prononcée par un enfant "Maman n'a jamais le temps", "Maman crie tout le temps", ... puis les paroles de la maman en question, illustrant à travers des scènes de la vie quotidienne ce que nous racontent les enfants.


Maman court tout le temps.
"Ne trainez pas, mes chéris,
il faut déposer Papa à la gare,
conduire Marguerite à l'école,
anmener Ernest chez la gardienne,
acheter un pain !"



Les illustrations au crayon et à l'aquarelle d'Estelle Meens retranscrivent superbement le rythme effréné et le tourbillon quotidien dans lequel cette maman nous plonge.
A un moment pourtant, celle-ci prend conscience qu'elle ne voit pas grandir ses enfants. Elle décide alors d'arrêter le temps, et de jouer, caliner, faire des gâteaux, ...

Voilà donc une maman qui a su concilier vie familiale et vie professionnelle. Trois questions toutefois, Quid de ce papa qui n'apparait que trois fois et ne parle pas ? Doit-on se réjouir ou dénoncer cette double activité que cette maman semble ici porter seule ? Maman-aux-mille-bras : déesse ou esclave moderne ?






Mais peut être certaines mamans ne se reconnaitront pas dans ces quelques portraits idéalisés. Je les invite donc à lire la suite.









Pour les mamans pas si parfaites que ca :



Pour les mamans rouspéteuses :

Olala de Lisa Charrier et Agnes Domergue. « Olala par ici ! olala parlà ! Ce sont des bêtises, me dit souvent ma maman ! Comment ça, je fais des bêtises ? Mais non, enfin, ce sont des surprises ! »












C’est l’histoire d’une petite fille qui entend sa mère dire « Olala ! » sitôt qu’elle fait quelque chose ! Selon sa maman, elle accumule les bêtises : boire du café, peindre sur les murs, remplir les WC de rouleaux de papier toilette,…
Mais pour cette petite fille, sa maman n’est vraiment pas logique : Pourquoi dit-elle que le café c’est pas bon alors qu’elle en boit ? …Si on met de la couleur partout, notre art n’est pas apprécié, si on utilise tant de papier WC, c’est parce qu’on est propre et qu’on veut tout nettoyer …


Décidément, maman ne voit pas les choses de la même manière. C’est sans doute parce qu’elle a des mots et des questions compliquées plein la tête, qui l’empêchent de réfléchir !

Cet album incite à réfléchir sur la différence de point de vue entre l’enfance et l’âge adulte. Il aide le parent à relativiser et doser sa réaction face aux « bêtises » de son enfant et l’enfant à comprendre pourquoi les grandes personnes ont des réactions parfois si incompréhensibles.
Une chose est sûre en tous cas, c’est que même si les mamans ne comprennent pas toujours leurs enfants, elles les aiment !

Lisa Charrier utilise ici des mots malicieux, tendres, drôles et surtout simples à l’image de nos enfants. Mais ce qui séduit aussi surtout, ce sont la douceur et la rondeur des magnifiques aquarelles d’Agnès Domergue.
Un très bel album sur les bêtises et les interrogations des enfants ainsi que sur l’amour qu’on porte à sa maman.







Pour les mamans carrément furieuses :




Il vous arrive de vous faire peur, ce livre est pour vos enfants : Le jour où maman a fait une tête de théière de Raquel Saiz et Joao Vaz de Carvalho.
"Le trois Octobre à neuf heures du soir exactement, un poussin tomba du nid...Au même moment, Justin sautait du lit." Il trouva sa mère en train de hurler car son vase préféré était en morceau.



La maman de Justin était tellement fâchée que de la fumée commença à sortir de sa bouche comme si c'était un dragon. En un instant, son nez se transforma en un bec et son oreille gauche en anse. Finalement, Justin ramassa du sol une théière qui ressemblait beaucoup à sa maman. Très effrayé, l'enfant alla chez sa voisine Mademoiselle Gisèle, Chez la grand-mère Lubi, chez l'oncle Jules, l'ami Léon, le bibliothécaire et le professeur Alfred. Mais personne n'avait la solution, ...



"Un récit enlevé, frais et plein d'humour qui accroche le lecteur dès la première page. Du quotidien, il nous transporte, à un monde de fantaisie, inattendu et plein de rythme, où tout est possible.
Les illustrations du dessinateur portugais Joao Vaz de Carvalho sont en harmonie avec le surréalisme du texte, créant des personnages très caractéristiques, aux poses statiques" et aux grands yeux ronds qui leur donnent un air ahuri, dépassés par la situation.

Une histoire pleine de peps et d'humour qui donne le sourire !








Pour les mamans qui s'absentent :

Voici un album d’une grande poésie qui raconte ce qui lie un enfant à sa maman, Soleil d’hiver de Jorge Lujan traduit en français par Carl Norac et illustré par Madana Sadat.

Sur chaque double page, s’étalent la ville, puis une maison, et une vitre derrière laquelle on voit un enfant attendre le retour de sa maman. Sur le carreau embué, il y dessine une lune d’abord petite comme son sourire, puis agrandie par l’impatience, maladroitement arrondie pour y faire entrer sa maman qui arrive au loin.



Madana Sadat nous invite à travers ses illustrations à un voyage intime, entre l’intérieur et l’extérieur. Les couleurs sont tantôt vives et profondes, tantôt blanches et grisées dessinant superbement la trace de l’enfant sur la buée. Elles débordent de tendresse notamment au moment du câlin tant attendu qu’échange l’enfant et sa maman.

Quant au texte, il s’agit d’un magnifique poème argentin :
Aujourd'hui, je dessine une lune
sur la buée du carreau.
Soudain, c'est toi Maman
qui viens vers moi
à grands pas dans mon croissant.
Maman, est-ce que tu me vois ?
J'agrandis la lune pour toi.
Là, tu me prends dans tes bras,
et nous sommes, toi et moi
comme un soleil derrière la vitre.
Cet album est une superbe ballade poétique aussi douce que la caresse d’une maman.






Pour les mamans dont le physique s'éloigne des stéréotypes :




Après avoir bousculé le monde du livre pour enfant avec Max et les maximonstres, Maurice Sendak propose son premier livre à mécanisme, intitulé Mommy ? difficilement traduisible puisqu'il s'agit d'un jeu de mots entre "maman" et "momie".





Un adorable bébé goufflu, en pyjama bleu et bonnet rouge, surgit dans l'espace à 3 dimensions du pop up, la mine réjouie et interrogeant du haut des escaliers d'un chateau hanté: "Maman ?"
Et voilà notre petit bonhomme parti à la recherche de sa mère, explorant piéce par pièce et ne répétant que ce seul mot "Maman ?". Plongé au milieu des monstres, vampires et créatures toutes plus horribles et terrifiantes les unes que les autres, dans les profondeurs mal éclairées du château, l'enfant avance à quatre pattes, sans effroi, animé par le seul désir de retrouver sa mère.




Un livre pop-up incroyable. Tout bouge, tourne, jaillit hors de la page (c'est ainsi que notre petit loupiot tire sur les bandes de la momie, défait les coutures de Frankenstein, ...). Chaque double page réserve son lot de détails et d'humour.


Nous retenons notre souffle au moment d'ouvrir la dernière porte. Et là, nous découvrons une mère toute grise, tendant ses deux bras de momie; elle est reliée par des tuyaux colorés à une potion détonnante. Sort alors de sa bouche un seul mot "B-A-B-Y" dont chaque lettre détachée nous donne des frissons dans le dos.
"Une mère et son bambin, c'est aussi parfois la rencontre aimée et dévorante, subversive et volcanique, comme le dit Hélène Cixous, de deux êtres qui ont en commun plus que ce "elle" et ce "il", incomplets d'un point de vue linguistique : ils partagent l'envie et le besoin d'être ensemble au-delà de toute représentation polie, lisse, léchée. Remercions Maurice Sendak d'avoir mis en images surtout et si peu en mots, comme à son habitude,le désir irrésistible de se retoruver au-delà des apparences."(1)





Dans une maman toute entière d'Olivier Ka et de Luc Melanson, un petit garçon raconte combien sa maman est grosse et combien ça le comble !

"Ma maman, elle est grosse, très grosse. C'est la plus grosse maman du monde. Chez Maman, tout est gros. Son corps, son appétit, son amour. Moi, je veux qu'elle reste toujours comme ça."





Pour ce petit garçon, ce n'est que du bonheur, sa maman est moelleuse, elle le rassure et le protège. Et quand tous les enfants la montrent du doigt dans la rue, il est fier car elle pourrait prendre vingt enfants dans ses bras, mais ce n'est que lui qui en profite !
Alors quand sa maman décide de faire un régime pour être encore plus jolie, il ne comprend pas, il trouve absurde même qu'elle ne mange que trois petits pois alors qu'elle a besoin de bien plus ...




Les illustrations aux couleurs chaudes sont toutes en rondeur et d'une grande tendresse.

Cet album parle avec simplicité de la différence et questionne les normes sociales de l'apparence physique.
Une très belle déclaration d'amour faite aux mamans, à mettre entre toute les mains...






Pour les mamans qui sont deux :

D'autres mamans ne répondent pas aux stéréotypes sociaux, La fête des deux mamans d'Ingrid Chabbert et Chadia Loueslati aborde en toute simplicité le thème des familles homoparentales.

L'homoparentalité est un fait de société susceptible d'attiser les intolérances. En France, peu de maisons d'édition ont fait le choix de mettre en scène des familles homoparentales. Ce faisant, les enfants de ces couples risquent de se sentir exclus des représentations.




Prunelle a deux mamans. mais au centre aéré, on ne lui donne malheureusement que de quoi confecftionner un seul collier pour la fête des mères. Prunelle est très embêtée, surtout qu'elle ne veut pas se distinguer de ses camarades. Heureusement, la maîtresse aidera Prunelle a trouver une solution.




Au-delà de la difficulté rencontrée par Prunelle, cet album fait le portrait d'une famille unie et aimante où les enfants s'épanouissent comme les autres.
"Ingrid Chabert expose clairement les faits sans que la lecture fluide soit gênante ou intriguante pour n'importe quel petit lecteur."
Quant au problème de Prunelle, "cet album peut très bien convenir à des enfants qui sont sans l'un de leurs parents, le problème de la fête des mères ou des pères restent le même."

Les illustrations chaleureuses retranscrivent parfaitement les sentiments qui unissent cette petite fille à ces deux mamans.
Un album peut être un brin militant mais surtout une belle histoire d'amour.















Pour les mamans qui embellissent parfois la vérité :

Les mamans, c’est bien connues, sont toujours et ont toujours été parfaites, même lorsqu’elles étaient petites ! C’est d’ailleurs pour cela qu’elles se permettent de régulièrement faire la morale à leurs chères petites têtes blondes.










Mais dans Maman était petite avant d’être grande, Claudine Desmarteau et Valérie Larrondo brisent le mythe.

"Oh ! Regarde cette photo. La jolie petite fille, c’est moi, ta maman » S’en suit une explication de la maman en question sur ce qu’elle faisait si bien et surtout sur ce qu’elle ne faisait pas, histoire de donner le bon exemple à sa progéniture.
Elle ne dessinait pas sur le canapé, elle n’embêtait jamais son petit frère, elle ne jouait jamais avec le maquillage de sa maman, non, non …sauf que les illustrations viennent contredire tout ça.



Les illustrations justement peuvent paraître un peu agressives de prime abord mais collent parfaitement avec le visage de petite terreur de la maman petite fille.
Le décalage entre le texte et les dessins est drôle et donne à réfléchir. Les enfants prendront conscience que non seulement maman a été petite un jour et qu’en plus elle s’avérait parfois être une vraie chipie !







Pour les mamans qui disent STOP :

Dans A Calicochon d'Anthony Browne, les couvertures donnent le ton. La première présente une femme portant sur son dos un homme et deux garçons, la quatrième exhibe une lettre sur laquelle nous pouvons lire une seule phrase "Vous êtes des Cochons."


Monsieur Porchon a vraiment une belle vie. Grâce à son très important travail, il posséde une belle maison avec un beau garage, une belle voiture. A l'intérieur de la maison, il y a Madame Porchon. Les deux fils de Monsieur Porchon se rendent tous les jours dans leur très importante école, pour y apprendre des choses qu'on imagine non moins importantes.



Madame Porchon, elle, fait le ménage, le repassage, les repas, la vaisselle ... Et puis, elle va aussi à son travail. Pas très important sans doute le travail de cette mère de famille.

Pourtant l'ingratitude et la mysogynie du clan masculin de sa famille lui devient un jour intolérable et Madame Porchon décide alors de partir. Le père et les deux-fils ne tardent pas à être débordés, la maison se transforme en une immonde porcherie. Lorsque Madame Porchon revient, les trois affreux, métamorphosés en cochons, la supplient de rester. La leçon a porté : les mâles se mettent aux travaux domestiques. La dernière image montre d'ailleurs Madame Porchon en train de réparer la voiture, actant définitivement la redistribution des rôles dans cette famille.

Les illustrations sont d'une grande richesse. Quand elle est confinée aux tâches domestiques, Madame Porchon est représentée tête baissée, sans visage, sur un fond jaune-orangé l'isolant du reste de sa famille...Avec son départ, Anthony Browne nous fait basculer dans un autre univers totalement fantasmé et angoissant. Partout des cochons apparaissent, sur les papiers peints, dans la forme des meubles, accompagnant ainsi la métamorphose des hommes de la famille ...jusqu'à ce que maman revienne.




Un album très réussi qui a longtemps été épuisé, c'est une joie de le voir réédité.










Pour les mamans qui ne sont pas que des mères:


Voici Ma mère de Totort



Cet album prend d'emblée le contre-pied de l'album Une vraie Maman présenté un peu plus haut : "Ma mère n'a pas quatre bras, ni huit. Elle n'a pas de tentacules. Elles ne peut pas tout faire en même temps. Ma mère n'est pas une pieuvre."




Sur chaque page de gauche, un texte encadré précise tout ce que n'est pas la mère, à partir d'une métaphore utilisant une femelle animale (pieuvre, poule, kangourou, chamelle, chouette,...)

Quant à la page de droite, elle représente cette impossible mère. Le tout en utilisant des couleurs vives et un graphisme qui n'est pas sans rappeler l'art naïf.






La huitème et dernière double page fait exception. Le texte présente cette fois, ce qu'est la mère du narrateur. Avec en guise de conclusion, une phrase écrite en gros et en gras : "Ma mère, elle sait tout faire !"
Sur la page de droite, nous découvrons alors une jeune femme, jean et large décolleté, confortablement instalée dans un fauteuil, pieds nus, livre à la main. Au sol, un plateau et deux tasses de thé, en arrière-plan, une grande bibliothèque et la photo de 3 enfants.


L'inéadéquation entre le texte et l'image nous interpelle. Qu'en penser ? Est-ce une mère si parfaitement organisée qu'elle arrive à tout gérer dans sa famille nombreuse tout en se ménageant une pause lecture ? L'enfant narrateur s'est-il inventé une mère parfaite, multifonctionnelle alors qu'il sait bien au fond qu'elle vit aussi pour elle.
Toujours est-il que cette maman dégage une "évidente plénitude de vie qui dépasserait son seul statut de mère à tout faire."







Pour les mamans "faillibles" :



Commençons par Les douze manteaux de maman de Marie Sellier et Nathalie Nonvi.
« Rêveuse, rouspéteuse, joueuse, mystérieuse, conteuse, merveilleuse …, une maman n’est pas toujours la même. »


Voici ici un magnifique album qui, à travers la symbolique et la description des différents manteaux que revêt une maman, présente ses humeurs et états d’âme, perçus par les yeux de son enfant (ses joies, ses absences parfois, la complicité, la figure de l’éducatrice, la fatigue aussi…)
Chaque double page est consacrée au manteau et donc à l’état d’âme d’une maman.
Sur la page de gauche, un petit texte court, chantant et poétique : portrait d’une maman, tout droit sorti de la bouche de son enfant. Sur la page de droite, une illustration toujours somptueuse, délicate et forte à la fois de cette maman.



Dans son super manteau de Maman,
on trouve tout, absolument tout :
la colle pour l'école,
un bonbon doux pour la gorge,
un mouchoir, des gâteaux,
les clés de la voiture et celles du paradis








Mais celui que je préfère,
c'est son manteau bleu,
bleu comme ses yeux très bleus,

son manteau tout pelucheux,

plus doux que ma peluche,

bien grand, bien enveloppant

pour me glisser dedans

tout contre maman




Les illustrations sont tout en sensibilité ; aux couleurs tantôt tendres qui nous enveloppent comme l’amour maternel, tantôt floues qui laissent voguer notre imagination, le parallélisme avecles saisons ou intempéries est également très parlant (paysage d’hiver quand maman pleure …)

Son manteau d'ombre
a un grand col de brume.
Quand elle le porte, tout s'assombrit.
Les oiseaux ne chantent plus,
le ciel devient gris.
Il n'y a rien d'autre à faire
qu'attendre que ça passe.




L’enfant lecteur comme sa maman ne peut que se retrouver dans cet album, dans les sentiments et les moments qu’il suggère. Un grand Bravo !











Pour les mamans Fatiguées :
Dans un tout autre style, La soupe de maman de Karine Serres et Clémence Pollet

Après une dure journée de travail, maman est « cuite », les yeux fermés dans l’eau fumante du bain : il n’y a plus qu’à ajouter quelques ingrédients et à bien remuer.


Au début, l'album cache sa fantaisie. C'est la fin de la journée, maman prend son bain; son petit garçon nous raconte comment il décide alors de préparer le repas.
On commence à écarquiller les yeux en le voyant confectionner sa soupe. En effet, placard après placard, il vide tout ce qu’il trouve dans l’eau chaude du bain : légumes frais, légumes en conserve, épices, crèmes, farine …et surveille de près l’aspect de son mélange pour qu’il ne soit ni trop fade ni trop grumeleux …une bonne soupe imaginaire d’amour.

Sur le principe de l’accumulation, on plonge dans l’imaginaire débridé d’un petit bout de chou qui lutte avec beaucoup de fantaisie contre la faim, l’attente, mais aussi l’angoisse de perdre sa maman qui est là devant lui immobile dans le bain …Lorsque maman sort du bain et s’ouvre à son petit garçon de sa difficile journée, ils se retrouvent enfin autour d’un petit festin : chips, pâté et chocolat.
Une histoire qui nous rappelle que l’on se nourrit de ses parents autant, si ce n’est bien plus, qu’ils ne nous nourrissent. Car l’amour d’une maman fait grandir bien plus encore que la soupe.
Cet album est très bien servi par les illustrations de Clémence Pollet. Elle nous propose de grandes peintures double page, où elle fait fi des perspectives et des échelles, joue avec le contraste des couleurs pour mieux nous faire pénétrer dans l’univers de ce petit garçon.
A consommer sans modération après ouverture …











Pour les mamans qui souffrent :




Dans Puce de Brigitte Ventrillon et Pierre Mornet, "Puce fronce les sourcils. Que se passe-t'il aujourd'hui ? Sa maman n'est pas belle du tout et ses yeux, si petits, font mal quand Puce les regarde." Puce appelle doucement "Maman ! Ca va ?". Sa maman répond et c'est terrible. Puce ne comprend pas ce que sa maman dit "sa voix fait aussi mal que ses yeux et que ses cheveux."



Puce est effrayée par sa mère qui semble malade, dépressive ou du moins en souffrance. Apprécions le fait que Brigitte Ventrillon ait la délicatesse de ne rien en dire, car ce qui compte ici, ce n'est pas pourquoi, c'est que cela puisse exister.

Rejetée par les mots, les gestes, Puce n'a pas d'autre choix que la fuite symbolique dans la forêt sombre, habitée par un terrible ours géant. Avec l'arrivée du lapin blanc, au pelage soyeux et chaud qui rassure, le monde d'Alice n'est pas loin. Subrepticement, l'atmosphère se radoucit. Puce peut à nouveau se blottir contre le cou de sa mère à l'odeur de brioche.



Il y a beaucoup de beauté dans ce livre. On passe d'un plan où la maman aux allures de mona Lisa, est allongée sur un divan rouge, entourée de coussins et de murs rouges ...Rouge comme le sang, comme la souffrance...Puce ne parvient pas à atteindre sa mère même du bout des doigts.
Sur la dernière page, la blancheur domine, sa maman qui va mieux, relève la tête. Puce peut enfin se reposer mais une tache rouge subsiste comme un avertissement (ce rétablissement "miracle" ne durera peut être qu'un temps, il incombe à cette enfant de trouver une solution face à sa mère en souffrance).








Dans Je suis là ,Maman ! Claude Dagail et Marie Legrand évoque un mal social généralement tabou : l'alcoolisme des mères.




Un petit garçon raconte comme tout allait bien dans sa famille, puis son père et sa mère qui se déchirent, le départ de son père et la lente descente aux enfers de sa mère. "Face aux blessures et accidents de la vie, toutes les mamans n'ont pas la même force. Parfois, elles croient oublier leurs chagrins et trouver le réconfort dans l'alcool..."

Sur les seize double-pages de l'album, quatre successives insistent sur l'alcoolisme qui tout à tour tente, sépare, noie et emporte loin des autres. C'est ainsi que ce petit garçon voit partir sa mère loin, très loin de lui, dans les vapeurs de l'alcool. Lui aussi s'isole à son tour : à l'école, il n'a plus de copains, le problème de sa maman pèse sur sa vie entière.

Dans un second temps, Claude Dagail fait de son petit héros un enfant sauveur, il oblige sa mère à le regarder et à se souvenir de son existence. "Je suis là, Maman ! Regarde-moi, Maman !". Avec l'aide des "Zanonymes" et à force de patience, de volonté, le bonheur pourrait revenir.

"Avec pudeur et tendresse, le texte concis et ciselé à l'extrême met en évidence les souffrances, les moments d'abattement mais aussi les silences d'amour profond, la volonté de s'en sortir, le courage, l'espoir, la double victoire enfin."




Quant aux illustrations, l'effet est saisissant. Marie Legrand étale du ciment (matière hautement symbolique pour évoquer le lien mère-enfant) sur des fonds en bois, toile, carton, qu'elle gratte, brosse, grave avant d'y peindre à l'acrylique.
Tout se passe comme si la diade "enfant - maman" était le seul élément solide dans un monde qui chavire dans la boisson. Un grand Bravo !













J'espère vous avoir proposé à travers ces quelques albums un éventail d'univers graphiques et de représentations de la mère suffisamment large pour que vous y trouviez celui que vous prendrez plaisir à partager avec vos enfants, peut être en pensant que s'il ne fait que véhiculer une norme, l'album doit aussi permettre aux enfants de s'ouvrir sur la diversité de l'être.

Je n'ai volontairement rien dit des "représentations de la famille" dans lesquelles évoluent ces mères (vaste sujet qui fera sans doute l'objet d'un post ultérieur). De même que je n'ai pas évoqué les mères "mauvaises et subversibles" dont les romans pour la jeunesse ne manquent pas mais que les albums évoquent rarement (ou en les travestissant en marâtre).
Pour celles et ceux qui seraient interessé(e)s par la représentations des mères et plus généralement des filles dans les albums jeunesse, je vous recommande l'excellent essai Filles d'albums de Nelly Chabrol Gagne, que j'ai cité à plusieurs reprises (1).




Bonne lecture et bonne fête à toutes les mamans (particulièrement à la mienne ).


(2) Des chercheurs américains dont Neil Gilbert ont tenté de classifier les styles de vie féminins, désormais diversifiés. Celui-ci en trouve quatre :
- les mères de famille nombreuse (trois enfants et plus) dites "les traditionnelles"
- les "néotraditionnelles" (mère de deux enfants)
- les "modernes" qui veulent gagner leur vie tout en restant attachée à la maternité
- en fin les "postmodernes" (femmes sans enfant)






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